19 mai 2006
D) Regard universitaire (p 63 à 65)
Regard universitaire
Dominique Bessières, université de Reims Champagne-Ardenne.
Maître de Conférences en Sciences de l'Information et de la Communication, Centre de recherche AEP (EA 3313).
Quelles conditions pour l’implantation d’Internet dans la communication locale ?
L’enquête « Le directeur de communication et internet dans les collectivités territoriales » cherche à préciser les conditions et les modalités de l’implantation d’Internet au sein des administrations décentralisées. Le phénomène est encore jeune, les premières expérimentations de sites remontent à la moitié des années 90. Une telle démarche permet de voir que la communication numérique s’inscrit dans le processus plus large d’institutionnalisation de la communication locale[1] en intégrant de nouveaux supports techniques d’information et de communication.
La communication numérique est regardée du point de vue de l’organisation : c’est assez original. On recherche moins la mesure des finalités de l’outil Internet que sa pratique et ses modalités spécifiques. Internet en référence à l’évaluation d’une dimension démocratique ou e-démocratique, n’est pas interrogé ici. Ces considérations plus extérieures et globales ont intéressé plusieurs enquêtes quantitatives dans le passé récent. Cette forme de communication est questionnée auprès d’une population de directeurs et de responsables de la communication. Aussi, il ne s’agit pas d’un sondage, la population mère étant trop restreinte pour permettre d’y prétendre. Le recueil en ligne met en lumière une appréciation de la situation auprès d’un public concerné, voire technophile.
La spécificité du responsable de communication locale
Les chiffres traitant des responsables de la communication confirment des données déjà connues. Les responsables de communication sont en majorité contractuels et occupent leurs fonctions depuis moins de 5 ans : le turn-over caractérise cette fonction des administrations décentralisées par rapport aux autres. On note une dominante de formation en communication, avec une plus grande proportion de bac + 3/4 suivie d’assez près des bac +5 : ce sont des indicateurs d’une professionnalisation. Les praticiens dotés de diplômés spécialisés sont notables dès la fin des années 80. Ils sont caractéristiques d’une étape des recrutements des services de communication. Elle fait suite aux premières sélections de profils moins directement dotés en bagages universitaires spécifiques, pouvant disposer d’expériences de militantisme politique, de journalisme[2] …
Le numérique spécifique dans la communication externe
La séparation des responsabilités entre communication interne et externe est flagrante. L’externe est souvent du ressort du directeur ou du responsable de la communication. Dans l’enquête, ils ont majoritairement une responsabilité en matière Internet. Pour la dimension interne, la responsabilité n’est pas la même. Le responsable du site Intranet est de façon la plus fréquente le DSI, de la même façon que la DRH détient souvent la communication interne dans son giron. Ces communications sont perçues comme plus administratives et moins stratégiques : elles s’adressent à des publics internes, fonctionnaires, soumis au principe hiérarchique, auprès de qui les édiles cherchent peu à assoir une légitimité, à la différence des dirigeants d’entreprises, puisqu’ils sont légitimés par voie d’élection.
Pour autant, le site Internet est donc, comme le souligne la distribution des réponses dans l’enquête, majoritairement un support de communication. Comme tel, il vise principalement à la promotion de l’image de la collectivité, l’information sur la vie locale, les services administratifs. Il fonctionne avec des contributeurs-correspondants dans les services. On peut se demander si ce sont les mêmes relais que ceux de la communication globale. La croyance en l’efficacité de la communication est à l’œuvre[3]. Une très grande majorité des répondants (près de 90 %) ne dispose pas d’une étude sur les TIC dans leur collectivité. Le fait est suffisamment massif pour être souligné. Enfin, la spécificité technique des sites Internet est abordée avec des questions sur les systèmes de publication et de mise en ligne utilisés, les modalités de mises à jour, les logiciels utilisés.
La professionnalisation derrière les compétences
Un des atouts de l’enquête est de dessiner quelques contours d’une logique de professionnalisation autour de différentes questions.
Les effectifs intervenants de façon spécialisée sur le site Internet sont très modestes. Dès lors, logiquement, le personnel apparaît comme spécialisé et technique. Majoritairement, les moyens qui y sont consacrés semblent suffisants parmi la population des répondants. On peut penser qu’il s’agit d’un signe d’une fonction encore récente et donc pas encore totalement intégrée dans toutes les collectivités, ou que le site Internet est considéré comme un outil parmi d’autres. À ce titre, il s’insère dans l’ensemble des supports de communication qui fonctionnent en synergie.
La professionnalisation est également visée par l’enquête dans l’évaluation des « compétences » des personnels. Celles-ci concernent la réalisation des tâches générées par ce nouvel outil, mais également les recrutements et les modifications d’organisation du travail qu’Internet opère, ou bien encore, par les effets notables des TIC pour le travail de communication en termes de productivité, d’efficacité, de réactivité, de créativité. Ces compétences sont également sollicitées dans le jugement sur différents aspects du site en tant que support (questions 68), dans la répartition entre les compétences externalisées et celles gérées en Interne (question 78), enfin dans les efforts à apporter sur le site dans le délai d’un an (question 80).
Cette professionnalisation est également distinguable au regard des conséquences qu’un site Internet peut impulser sur le « métier » de responsable ou de chargé de communication. Il s’agit de la périodicité d’intervention sur le site, du temps consacré, de la formation dédiée, de la responsabilité éditoriale du site ou bien encore dans le surcroît d’intérêt qu’il ajoute au métier de communicateur. Au travers des questions abordant ces thèmes, c’est toujours Internet en tant que support de communication que l’on retrouve.
La communication numérique : une affaire interne ?
Des questions impliquant des références extérieures aux organisations des administrations décentralisées, par la modestie des chiffres obtenus, semblent indiquer Internet et la communication numérique comme une activité essentiellement interne aux organisations. Elles ont abordé les relations personnelles avec les organismes publics du secteur (Caisse des dépôts, ADAE, Documentation française, agence Tic en région), la fréquence d’échanges sur des forums en ligne, des sites ou revues spécialisés, ou encore l’appartenance à des associations professionnelles.
Au total, cette enquête représente un support dans la perspective d’appréhender plus finement la professionnalisation des organisations en matière de communication numérique locale. Au moment où la réflexion théorique sur la notion polysémique de professionnalisation est en débat, l’enquête privilégie les caractères du statut du personnel, des savoirs nécessaires pour exercer. Ainsi, elle tend à conforter une vision fonctionnaliste en dévoilant un professionnalisme provenant de la nature même de l’activité. L’approche interactionniste mettant l’accent sur les rôles des groupes sociaux pour se faire reconnaître, quant à elle, ne semble pas encore à la portée de la communication numérique.
Compiègne, le 15 janvier 2005
[1]BESSIERES Dominique, "L'institutionnalisation de la communication locale : le cas des échelons décentralisés départementaux, régionaux, parisiens franciliens", Thèse de Doctorat de Science politique, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 1998.
[2] PAILLIART Isabelle, Les territoires de la communication, Grenoble, PUG, 1993.
[3] Bessières Dominique, op.cit.
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